« Les femmes ne peignent pas très bien. C’est un fait. »

Autoportrait de Paula Modersohn-Becker - Détail

Autoportrait de Paula Modersohn-Becker – Détail

Extrait d’une interview du peintre Georg Baselitz par Susanne Beyer et Ulrike Knöfel et publié par le magazine allemand Spiegel Online International  le 25 janvier 2013. Traduit de l’anglais par A&C.

« Baselitz : Comme toujours, le marché a raison.
Spiegel : Toujours ? Le marché englobe seulement quelques femmes. Il y a à peine quelques femmes parmi les artistes les plus chers.
Baselitz : Oh mon Dieu ! Les femmes ne réussissent tout simplement pas le test.
Spiegel : Quel test ?
Baselitz : Le test du marché, le test de la valeur.
Spiegel : Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ?
Bazelitz : Les femmes ne peignent pas très bien. C’est un fait. Il y a des exceptions bien sûr. Agnes Martin, ou, dans le passé, Paula Modersohn-Becker. Je suis heureux quand je vois une de ses peintures. Mais elle n’est ni Picasso, ni Modigliani, ni Gauguin.
Spiegel : Donc les femmes ne peignent pas très bien soi-disant.
Baselitz : Pas soi-disant. Et ce malgré le fait qu’elles constituent encore la majorité des étudiants dans les écoles d’art.
Spiegel : Ce n’est probablement pas dû à un défaut génétique.
Baselitz : Je pense qu’en fait le défaut est chez les artistes hommes. Les hommes artistes sont souvent à la limite de l’idiotie, alors qu’il est important pour une femme de ne pas être comme ça, si possible. Les femmes sont remarquables en science, aussi bonnes que les hommes.
Spiegel : Les femmes ne sont certainement pas aussi bruyantes et envahissantes quand il s’agit de se présenter elles-mêmes. Avec son désir de sensationnel, le marché ne pardonne pas ça.
Baselitz : Ne connaissez-vous pas Marina Abramovic ?
Spiegel : Elle ne peint pas, mais c’est une performeuse importante, quelqu’un qui montre qu’une femme peut aller loin.
Baselitz : Elle a du talent, comme beaucoup de femmes. Mais un peintre n’en a pas besoin. En fait, c’est mieux de ne pas en avoir.
Spiegel : Etes-vous en train de dire  qu’il est préférable de ne pas avoir de talent ?
Baselitz : Oui, c’est bien mieux.
Spiegel : Pourquoi ?
Baselitz : Le talent nous attire vers l’interprétation. Ma sœur savait dessiner magnifiquement, mais l’idée ne l’a jamais percutée de devenir peintre. Je n’ai jamais eu ce talent exceptionnel.
Spiegel : Durant des siècles, l’art était de l’artisanat, presque un travail physique exécuté par des hommes. Les hommes ont également été les premiers historiens de l’art. Tout était masculin, et c’est simplement resté ainsi.
Baselitz : Ca a peu à voir avec l’histoire. Comme je l’ai dit, il y a certainement quelques artistes de sexe féminin : Helen Frankenthaler, Cecily Brown et Rosemarie Trockel.
Spiegel : Cette dernière est allemande, et elle a en ce moment une grande exposition à New York. Elle est également bien considérée à l’international.
Baselitz : Il y a beaucoup d’amour dans son art, beaucoup de sympathie.
Spiegel : Ca ne sonne pas comme un compliment. Alors que lui manque-t-il, ainsi qu’à Modersohn-Becker, pour que vous ne les classiez pas parmi les grands artistes ?
Baselitz : Laissez moi préciser ça. Il y a, bien sûr, pas mal de brutalité dans l’art. Pas de la brutalité contre les autres, mais de la brutalité contre la chose elle même, contre ce qui existe déjà. Quand Modersohn-Becker se peint elle-même, elle parait déplaisante, et extrêmement laide…
Spiegel : … et nue à une époque, autour de 1900, où il était complètement tabou pour les femmes de se peindre de cette façon.
Baselitz : Exactement. Mais elle a hésité à détruire les autres, autrement dit, a vraiment détruire Gauguin en allant plus loin que son art. Les hommes n’ont pas de problème avec ça. Ils le font, tout simplement. Mais vous devez savoir que j’aime les femmes.
Spiegel : Bien sûr.
Bazelitz : Oui. Je suis constamment amoureux — de ma propre femme. »

Pour paraphraser Griselda Pollock, historienne de l’art, on pourrait dire que certes, les femmes ne peignent pas très bien à de rares exceptions près, mais que les hommes ne peignent pas très bien non plus à de rares exceptions près. Ajoutons, comme l’a souligné la sociologue Sarah Thornton, que le marché se trompe souvent et que le record de vente pour une des toiles de Baselitz a été dépassé de 600 000 £ par la peintre Yayoi Kusama [1].

[1] Nick Clark, 6 février 2013, « What’s the biggest problem with women artists? None of them can actually paint, says Georg Baselitz », The Independant

2 réponses à “« Les femmes ne peignent pas très bien. C’est un fait. »

  1. EXTRAORDINAIRE ! MERCI POUR CE FORMIDABLE MORCEAU D’ANTHOLOGIE !
    C’est un modèle, un prototype ! Tous les arguments les plus sexistes s’y succèdent :

    1/ Les indices de valeur (ici, le marché de l’art) sont neutres et objectifs
    2/ Les femmes ont beau étudier, elles n’ont pas les qualités requises pour réussir (ici, peindre)
    3/ « Les femmes sont ENCORE majoritaires dans les écoles (ici, d’art) » soulignant déjà une certaine lassitude alors que cet état de fait ne date que de quelques décennies
    4/ Les femmes sont superficielles : elles n’entrent pas dans le vif du sujet (ici, interprétation versus création)
    5/ Le problème des femmes, c’est leur supériorité, leur sublimité
    6/ Ce qui nous sauve, nous, les hommes de mon métier, c’est que, faute d’éducation ou de talent, on a des c…
    7/ Une femme, c’est trop mou, trop altruiste, trop porté par l’amour ; pour s’attaquer à la matière, il faut de la brutalité, par essence masculine
    8/ Les femmes peuvent réussir, mais dans d’autres domaines que le mien : allez voir ailleurs (ici, chez les scientifiques – sic)
    9/ L’Histoire (ici, de l’art), comme le marché, est neutre et objective
    10/ Preuve de cette objectivité : des femmes d’exception sont reconnues
    11/ Si une femme choisit de se représenter « extrêmement laide », elle ne peut être qualifiée d’iconoclaste, puisque c’est une femme (mais seulement d’hystérique)
    12/ Si un autoportrait représente une femme laide, ce n’est pas parce que son auteure a une envie « brutale » de représenter la laideur, mais parce que son modèle est naturellement et objectivement « laid » (les femmes, c’est dit plus haut, ne sont capables que d’interprétation)
    13/ (sous-entendu) comme le marché et l’histoire, la laideur d’une femme répond à une définition neutre et objective
    14/ J’aime les femmes
    15/ la preuve : je suis amoureux de « la mienne »

  2. Oui Begona Gasc c’est assez énorme comme interview… 😮
    J’y connais pas grand chose en art… mais déjà je tilte en lisant  » le marché a raison ».
    Puis oui « j’aime les femmes » : la phrase favorite des machos (je vous laisse écouter la chanson « Femmes je vous aime » de Barzotti…)

    Puis je suis peut-être une beauf, mais bon je trouve pas que Baselitz soit un très grand artiste…

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