SUCE MA BITE EN ENFER !

Cartes postales contre la discrimination et le harcèlement dans les écoles d'art

Cartes postales contre la discrimination et le harcèlement dans les écoles d’art – © Maxime Schepard – ANDEA

« Suce ma bite en enfer ! » C’est sans aucun doute un commentaire banal sur les réseaux sociaux de milliers de jeunes hommes, et d’habitude je l’aurais ignoré d’un haussement d’épaule si je ne l’avais lu sur la page publique du lauréat d’un surprenant workshop.
Une amie m’a transféré hier un mail envoyé par l’ANDEA (Association Nationale des Ecoles d’Art) à ses adhérent.es. Ce courrier informe de la réalisation d’une campagne sous la forme de cartes postales « pour sensibiliser les étudiants aux discriminations et au problème du harcèlement ». C’est louable même si le public ciblé aurait pu être élargi : plusieurs rapports et commissions ont montré que des directeurs et enseignants des écoles d’art étaient aussi initiateurs de ces comportements. On lit ensuite que ces documents ont été créés lors d’un workshop mis en place par Jean-Michel Géridan et conduit par les designers Christophe Gaudard et Mathias Schweizer, réunissant des étudiants de l’Institut supérieur des arts de Besançon / Franche-Comté et de l’École supérieure d’art de Cambrai. Suit la liste des participant.es au workshop et le nom du lauréat : Maxime Schepard.
Lorsqu’on s’intéresse aux questions de harcèlement et de discriminations, la première étape consiste à regarder qui communique. Il n’est pas question ici de dire qui est légitime ou non à s’exprimer sur un sujet, mais en l’occurence, on peut tout de même s’étonner. Cette campagne est initiée et réalisée uniquement par des hommes formant un groupe relativement homogène : des hommes plutôt jeunes et de type occidental. En terme d’expérience sur les discriminations sexuelles, le lauréat affiche sur son profil public Facebook ses préférences hétérosexuelles, et le premier post qui s’affiche ce jour est une photo de deux femmes avec le commentaire suivant : « Suce ma bite en enfer ! » Pas sûr qu’il soit conscient du fait que « l’humour » peut facilement devenir un des outils du harcèlement…
Regardons les visuels, justement. Maxime Schepard dans l’Est Républicain explique : « Vous voyez, c’est très simple ». Eh bien ce n’est pas si simple parce que nous nous y sommes mis.es à plusieurs pour décrypter les cartes, et il nous manque encore quelques éléments à trouver. Il faut dire que l’incrédulité dont nous étions saisi.es nous a un moment aveuglé.es. Un plastique vert, un escargot, un gateau, un chaton, … et un slogan : « je peux le faire ! ». Le message ne s’impose pas comme une évidence. C’est le melon qui m’a mis sur la piste.
Expliquons la démarche : à l’issue du workshop, il a été décidé de communiquer sur des jeux de mots visuels, un truc assez ludique qui reviendrait à nommer les « insultes » sur le physique, l’orientation sexuelle et l’origine. Pour quel impact ? Quel message ? On a du mal à saisir, et c’est avec une certaine inquiétude qu’on constate que les concepteurs pensent que discriminations et harcèlement se limitent à l’insulte. Ca peut commencer par l’insulte, comme l’écrit si bien Didier Eribon, mais c’est un ensemble de comportements, de mots, de vexations, d’attitudes conscientes ou non qui donne progressivement la forme, la force du harcèlement. Ici, on imagine aisément l’ambiance de légèreté, de suffisance, et la totale ignorance des mécanismes à l’oeuvre qui ont pu égayer ce workshop. Comment imaginer sensibiliser des étudiants à deux sujets de taille que sont les discriminations et le harcèlement avec trois cartes postales qui nous invitent à jouer, à résoudre de petites énigmes visuelles ? Nous ne porterons ici aucun jugement sur la qualité visuelle ni ne questionnerons l’origine des images utilisées (aucune source n’est créditée).
Les voici. Nous vous invitons à les compléter car nous n’avons pas résolu toutes les devinettes :

site_57f6453b84c0a-copy

© Maxime Schepard

Physique : des asperges (grand comme une asperge), une truie (grosse truie), des carottes (poil de carotte), une ampoule (à part tête d’ampoule c’est pas clair) et des cotons tiges (?… mystère).
Sexualité : un chaton (probablement une chatte), du gazon (sans doute maudit), une pédale, une tapette et une tente (comprendre une « tante »).
Origine : Un melon (un Algérien des années 1960 dans le sud de la France), un petit beur(re), un petit-gris (fallait le trouver celui-là, n’est-ce pas ?), des macaronis (des immigrés italiens de la fin du XIXème, donc) et des (faces de) craies (pour évoquer le racisme anti-blancs sans doute). D’africains et d’asiatiques il n’est pas question. Peut-être ne font-ils pas d’études d’art.

Qui a pu décider que ces petits jeux visuels avaient une once de pertinence ?
Qui a osé penser que ces cartes qui ne s’accompagnent d’aucun argumentaire – et pour cause, il serait bien difficile d’en articuler un – serviraient à autre chose qu’à satisfaire l’égo d’un étudiant et de ses mentors ?
Quels sont les budgets alloués à ce workshop, à l’impression et à la diffusion des cartes postales ?
La légèreté qui caractérise cette démarche montre à quel point ces problèmes restent entiers dans les écoles d’art. On pourrait croire qu’au fond, c’est un petit milieu, et que les conséquences sont limitées. Mais non. C’est une partie de la société qui produit des images, des représentations, et qui utilise ici des fonds publics pour perpétuer cet entre soi très homogène d’hommes occidentaux qui s’auto-congratulent dès qu’ils croient pondre une bonne idée. L’ANDEA serait bien inspirée de faire réellement vivre sa charte contre les discriminations et le harcèlement en engageant un véritable travail de réflexion et d’action, plutôt que de dépenser de l’argent pour démontrer une fois de plus la désinvolture avec laquelle ces sujets sont traités.

Si vous avez aimé cet article pouvez soutenir Atlantes & Cariatides. Merci

11 réponses à “SUCE MA BITE EN ENFER !

  1. « des hommes plutôt jeunes et de type occidental »… Je ne sais pas s’il est pertinent de « typer » les gens ainsi, mais avez-vous vérifié, ou bien écrivez-vous ceci sur la foi d’un préjugé ? Qu’est-ce que « plutôt jeune » ? Qu’est-ce que le « type occidental » ?

    • Je pense qu’il est utile de regarder qui s’exprime en règle générale. Ici, il s’agit de lutte contre les discriminations et le harcèlement, et on peut donc se demander si les personnes qui s’expriment ont l’expérience de celles-ci. Le discours produit peut être très pertinent même si l’auteur n’est pas concerné, mais comme ici on est très loin ici de cette pertinence, je me suis posé la question de qui s’exprimait. Lorsqu’on voit les photos qu’ils ont choisies pour se représenter sur leurs CV et leurs réseaux sociaux, on constate que ce sont des hommes, de type occidental – et je n’ai pas signalé un autre trait commun : ils portent tous une barbe ;).
      Devant les exemples d’insultes racistes ou sexuelles choisies qui semblent d’un autre âge (melon, macaroni, tante…), je me suis posé la question de la génération. Le lauréat a déclaré à la presse avoir 22 ans. Les autres semblent avoir moins de 40 ans ou guère plus. Les raisons pour lesquelles ils ont été chercher ces insultes au siècle dernier restent obscures pour l’instant, à moins qu’ils ne puissent voir celles bien présentes aujourd’hui dans les écoles.

  2. Quelle joie de découvrir un article truffé d’expressions évasives…
    « C’est sans aucun doute un commentaire banal sur les réseaux sociaux de milliers de JEUNES HOMMES. »
    Commençons d’abord par là. Comment écrire un article au sujet d’un workshop, qui selon vous ne traite pas assez bien le sujet de la discrimination, en émettant l’hypothèse que ma génération est encore dirigée par le sexisme ?
    Au sujet de cette image postée sur mon mur ; à l’aide de mon téléphone, c’est malheureusement une des jeunes femmes présente sur la photo qui a publié elle-même ce post sur mon mur, en mon nom. ( Ouuuh la vilaine…)
    J’ai grandi dans une génération portée par le web, et donc ouverte au monde entier (virtuel bien sûr !).
    Nous pouvons donc constater ensemble que cette génération emploie des expressions vulgaires qui sont malheureusement devenues pures banalités. Peut-être que ce sont uniquement les jeunes hommes de cette génération qui sont touchés, et que les jeunes femmes demeurent encore innocentes ? Difficile d’y croire dans une société où le sexe est omniprésent. ( Ah oui, au passage j’écoute beaucoup de rap, cela fait-il de moi un macho ?)
    D’autre part, on peut lire dans votre article que « cette campagne est initiée et réalisée UNIQUEMENT par des hommes formant un groupe relativement homogène : des hommes plutôt jeunes et de type occidental. » (Conspiration ? Secte ?). Il est évident que si une jeune femme s’était glissée dans le groupe des protagonistes de ce projet, je n’y aurais bien évidemment pas participé…
    De surcroît, si vous aviez consacré plus de temps à la recherche du nom des participant(e)s du workshop plutôt que de vous attarder sur une phrase perdue sur les réseaux sociaux, vous auriez découvert que sur une quinzaine de participants, la moitié était des jeunes femmes. Un groupe constitué de personnes de religions, d’ethnies et d’opinions diverses. Je n’irais pas plus loin dans l’analyse de votre article. Vos convictions sont et resteront les vôtres. ( Ne devrais-je pas plutôt vous contredire encore et encore, comme un bon vieux macho ?).
    Toutefois, je tiens à rebondir sur votre réponse dans les commentaires. Sur le fait que l’on porte tous une barbe. Un brin discriminatoire non ? Peut-être que les hommes sans barbes ne sont pas les bienvenus dans les écoles d’Arts ? J’ai du mal à cerner la relation avec ma pilosité et mon travail. (Ah ! Ces hipsters … roux en plus !)
    Pour en terminer, un petit tour du côté de ce passage : « Les raisons pour lesquelles ils ont été chercher ces insultes au siècle dernier restent obscures pour l’instant, à moins qu’ils ne puissent voir celles bien présentes aujourd’hui dans les écoles. » Laissez moi apporter un peu d’éclaircissement à cette obscurité. La raison pour laquelle j’ai choisi d’employer ces insultes de « siècle dernier » est la suivante : elles sont malheureusement encrées dans notre société. Contrairement aux « nouvelles insultes », celles-ci peuvent être imagées de façon simple (Cf l’une des dix stratégies de manipulation de masse de Noam Chomsky. « Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements… »).
    En effet, ces cartes postales semblent banales (un chaton, un tente, des pâtes, une tapette, etc.) Autant d’images que l’on croise tous les jours. Ces cartes postales sont à l’image de la discrimination actuelle : banales, les insultes sont utilisées dans le langage familier, sans prendre un sens particulier. C’est ce que je voulais dénoncer. L’aspect anodin de ces images cache en vérité des insultes que tout le monde utilise sans même se préoccuper de leur possible impact sur une personne. J’aurais peut-être dû assembler une burka, une personne obèse, noire et chinoise. Pourquoi se compliquer la vie en essayant d’avoir un minimum de réflexion quand on peut tomber dans la facilité ?
    En espérant que vous réussirait encore à manger des escargots, des pâtes ou encore du melon, en regardant un reportage sur un cycliste voyageant avec une tente tout en pédalant sur son VTT, je vous souhaite une bonne semaine.
    Veuillez noter que j’ai pris le temps de vous répondre dans un langage correct, malgré mon jeune âge. Et oui la langue française n’est pas morte.

    PS : N’oubliez pas de nourrir le chat !

      • seul l’ANDEA et les professeurs sont responsables ici. Attention à ne pas se tromper de cible même si la réponse de cet étudiant est loin d’être en sa faveur

      • Que voulez-vous dire par « Tout y est. Merci de cette illustration brillante » ? Il y a là un point de vue, une contextualisation, exprimée de manière assez éloquente par la personne mise en cause par votre article, je trouve votre réponse un peu courte, j’y lis quelque chose comme « je pense ce que je pense, je ne changerai pas d’avis, mes lecteurs habituels sont de mon côté alors je n’ai pas à vous répondre ».
        Ces visuels très « culture web » sont assez en phase avec ce qui se passe en ce moment dans le graphisme contemporain, et pas seulement chez les garçons blancs hétéro cis barbus catholiques baptisés.

      • Il n’y a à mon avis aucune éloquence dans le texte que vous citez mais la confirmation de ce que je supposais : la méconnaissance complète des mécanismes de discriminations et de harcèlement. Ce n’est pas spécifiquement l’auteur que cet article visait, ni aucun autre participant à ce projet, mais bien les mécanismes qui font que ces sujets sont traités à la légère. Maxime Schepard ne semble d’ailleurs pas du tout se questionner sur cette campagne et sa réception qui semble avoir déjà échaudé plusieurs destinataires au sein des écoles d’art. Je ne vais pas faire l’exégèse de son commentaire mais on voit bien que ce qui l’agace profondément et qui occulte tout raisonnement, c’est que j’ai osé « qualifier » ce groupe comme homogène. Si on me souffle par ailleurs que l’un d’eux a des origines « non occidentales », ce n’est pas le sujet. Je ne parle pas de biologie, ce qui serait extrêmement déplacé, mais de construction sociale. Je maintiens donc que lorsqu’une campagne de prévention manque à ce point sa cible il est plus qu’utile de regarder qui s’exprime. Ce qui est troublant et remarquable, c’est que vous ne semblez pas avoir lu à quel point l’auteur se dédouane de tout et dérape en permanence : il n’a pas posté « suce ma bite en enfer » c’est une copine, il pense que sa génération n’est plus « dirigée par le sexisme » et il vole de stéréotypes en explications qui ne me paraissent pas du niveau d’études supérieures. Il répond surtout à des accusations imaginaires (du style « vous croyez que je suis un gros macho », « vous croyez qu’aucune fille n’a fait des propositions »). Après m’avoir imposé une orthographe flageolante il s’étale sur la correction de son langage, sur le temps qu’il a bien voulu passer à répondre à une supposée question de ma part et dans un réflexe qu’il n’a pu contenir, finit par un post-scriptum éloquent : « Noubliez pas de nourrir le chat ! ». CQFD. Il ne connaît donc rien au sujet qu’il a traité et ne peut le voir puisqu’il y participe activement. Comme vous d’ailleurs dont le compte twitter est riche de fesses de femmes, sextoys et détournements d’images à caractère presqu’uniquement sexuel, ce dont je me contrefiche à titre personnel mais qui dans ce contexte donne des clés de compréhension. Quant aux visuels qui vous plaisent, je ne porte aucun jugement. Peu importe leurs styles, c’est leur contenu qui vaut. Et dans ce cas, il est complètement à côté de la plaque.
        J’avais posé des questions de budget. Je n’ai pas eu la réponse.
        Alors oui, j’ai sans doute cédé à la facilité d’une réponse un peu courte. Je vous le concède volontiers. Mais il ne me posait pas de question. Il venait de me dire de me faire baiser. Mais ça, vous ne l’avez pas lu.

      • Ah ouais j’avoue j’avais pas compris « n’oubliez pas de nourrir le chat », mais la sexualité est-elle forcément une question de domination ? Il y a beaucoup de gens de tous les genres et de tous les sexes que ça détend. J’imagine que c’était une manière de dire « détends-toi » mais je comprends qu’on le prenne mal car cliché de la frustration sexuelle qui rend psychorigide etc…

      • Quand on traite de sujets comme le racisme, l’homophobie, le sexisme qui faut-il le répéter sont des comportements qui tuent ou poussent au suicide de nombreuses personnes, alors oui, il faut se poser les questions de domination. Et oui, les représentations hypersexualisées, les injures sexuelles contribuent au harcèlement. A tout le moins.

  3. Sans compter cet auto-commentaire confondant de sincérité :

     » En effet, ces cartes postales semblent banales (un chaton, un tente, des pâtes, une tapette, etc.) Autant d’images que l’on croise tous les jours. Ces cartes postales sont à l’image de la discrimination actuelle : banales, les insultes sont utilisées dans le langage familier, sans prendre un sens particulier. C’est ce que je voulais dénoncer. L’aspect anodin de ces images cache en vérité des insultes que tout le monde utilise sans même se préoccuper de leur possible impact sur une personne. »

    qui qualifie admirablement le début de son texte :

     » Nous pouvons donc constater ensemble que [ma] génération emploie des expressions vulgaires qui sont malheureusement devenues pures banalités. Peut-être que ce sont uniquement les jeunes hommes de cette génération qui sont touchés, et que les jeunes femmes demeurent encore innocentes ? Difficile d’y croire dans une société où le sexe est omniprésent. (Ah oui, au passage j’écoute beaucoup de rap, cela fait-il de moi un macho ?)  »

    Notre apprenti-graphiste fabrique donc des cartes qui dénoncent un comportement qu’il pratique (et qu’il considère comme propre à sa génération), mais en le transposant au siècle dernier – parce que c’est plus facile de trouver un macaroni qu’un bolos dans google images.

    Mais vous avez raison, l’important n’est pas ce jeune homme, c’est la chaîne de décisions qui a amené l’Andéa à financer ce workshop, le choix de l’enseignant qui s’est rendu responsable de son organisation, et bien sûr le couronnement d’un aussi aberrant projet.

Répondre à atlantesetcariatides Annuler la réponse.