Arles : le changement, c’est maintenant !

mazzacio

Cher Sam,

J’espère que tu es en forme pour commencer à travailler sur les prochaines Rencontres d’Arles. Celles de 2014, c’était à prévoir, ont été décevantes sur bien des plans : le choix des photographes, cette impression de voir et revoir les mêmes, ce manque de souffle… Mais sans doute Hebel était-il à bout…de souffle.
A toi maintenant de jouer.
Je t’écris parce que comme beaucoup d’amateurs de photographie, j’aimerais voir de la photographie en plus grand, plus vaste. Oui, Sam, quand je vais à Arles, il me manque une grande partie de la création artistique et ça ne me convient pas. Regarde un peu cette année : une seule artiste a été invitée à exposer son travail photographique dans le programme officiel, qui plus est en binôme avec son compagnon. Les autres femmes n’étaient pas là en tant que photographes mais en tant que commissaires ou collectionneuses. En bref, aucune artiste n’a pu montrer son travail seule, dans un vrai lieu d’exposition, avec son nom, en gros, comme ses collègues masculins. Heureusement que le partenaire SFR en a choisi quatre ! Deux femmes sur dix photographes ont été présentées pour le prix Découverte, par Quentin Bajac, fidèle à lui même. Lui, il en trouve toujours des artistes femmes, comme quoi…
Tout ça manque de curiosité, d’ampleur, de vision. Peut-on produire un discours valable sur la photographie contemporaine sur la base d’un truc biaisé, entre nous, entre mecs qui nous regardons nos blancs nombrils ?
Etre exposée à Arles, ça veut dire pour une artiste la possibilité de faire aboutir un travail, mais surtout de la reconnaissance, de la visibilité et donc des moyens de produire et d’éventuellement gagner sa vie. Au XVIIIème siècle, les « Rencontres d’Arles » de la peinture, c’était le Salon de Paris. Entre 1865 et 1880 les femmes représentaient un tiers des exposants. Un tiers ! Et tu sais pourquoi leur nombre a chuté à partir de 1881 ? Eh bien simplement parce que « le salon qui était organisé par les pouvoirs publics fut directement pris en charge l’année suivante par les artistes eux-mêmes ; ce passage d’une gestion étatique à une gestion professionnelle, si l’on peut dire, s’est donc traduit par une moindre ouverture aux artistes femmes ». [1]
Nous sommes en 2014 et l’argent public investi dans cette manifestation est à 98,2% en faveur de photographes hommes ! J’espère que ça te choque autant que moi. Mais je voudrais en être sûr parce que ton passage à Lausanne me laisse penser que tu n’étais pas très conscient de ces disparités. Maintenant que tu es informé, es-tu prêt à t’engager publiquement à réserver au moins un tiers [2] des expositions et de l’espace dont tu disposeras à des artistes femmes ? Ce n’est pas la parité que nous défendons, c’est la production artistique, les artistes, c’est l’égalité de traitement, et tu reconnaitras aisément qu’elle est loin, très loin d’être atteinte.
Tu verras, je suis sûr que tu vas faire des rencontres passionnantes avec de grandes artistes et nous sommes très nombreux à vouloir ce changement radical d’attitude.
J’attends ta réponse qu’Atlantes & Cariatides publiera.

En espérant que tu seras l’homme de la situation,
bien cordialement.

Vincent

[1] Maria Antonietta Trasforini, « Du génie au talent : quel genre pour l’artiste ? », Cahiers du genre, n°43/2007
Sur ce sujet, voir aussi Catherine Gonnard, Elisabeth Lebovici, Femmes artistes/artistes femmes, Editions Hazan, 2007, p.12.

[2] Cf la recommandation n°10 dans Brigitte Gonthier-Maurin, La place des femmes dans l’art et la culture : le temps est venu de passer aux actes !, rapport d’information du 27 juin 2013 : « Confier au ministère de la culture la rédaction d’une « charte pour l’égalité », déjà demandée par Reine Prat en 2009, par laquelle les acteurs culturels signataires s’engageraient à : (…) favoriser la production des femmes, en respectant au moins un tiers d’oeuvres, d’articles, d’émissions, etc. réalisés par des femmes ; veiller à une représentativité équilibrée des femmes dans leurs organigrammes ».

5 réponses à “Arles : le changement, c’est maintenant !

  1. Pour ma part, je boycotte les émissions, les expositions, les livres qui ont l’air de « réunions entre vieux copains ». Les citoyen-ne-s devraient s’alarmer d’une distribution de l’argent public qui ne profite qu’à certains, surtout en période de crise. Je me demande aussi comment on peut se retrouver ainsi, à décider, entre hommes blancs, sans se poser quelques questions, quand on prétend incarner la nouveauté, la pertinence, l’audace et même l’avant-garde. Enfin, il manque une véritable étude sociologique sur les métiers de l’art et de la culture. Depuis au moins 50 ans de soi-disant démocratisation culturelle, la classe des « faiseurs de culture » s’est développée et enrichie, sans que les classes populaires et les femmes y trouvent réellement leur compte. Sans qu’on demande vraiment des comptes.

    • Il existe pas mal d’études sociologiques sur les métiers d’artistes du spectacle vivant et nous nous efforçons de les faire connaître. Nous vous renvoyons également à la fin de l’article au rapport de la sénatrice Gauthier Maurin qui vous emmènera vers celui de Reine Prat et d’autres. Nous avons mis déjà quelques liens ici : http://www.pearltrees.com/atlantesetcariatides/histoire-sociologie-art/id11293895

      Cependant, il n’existe aucune réelles études sociologiques sur les photographes, peintres, sculpteurs. C’est pourquoi nous tentons de « montrer l’invisible » avec éclairage plus précis sur les photographes puisque c’est un secteur que nous connaissons particulièrement bien. Merci de nous soutenir en diffusant nos articles le plus largement possible.

  2. 100% d’accord avec l’idée de créer de nouvelles règles du jeu. J’ai passé ma vie à exposer dans de nombreuses régions de France, dans des lieux plus ou moins  » valorisants » , mais jamais invitée dans de grandes manifestations genre  » Arles »…Un comble n’est ce pas! Mais je dois dire que mes amis hommes appartenant à la même sensibilité artistique ne l’ont pas été non plus! Alors? Je suis d’accord pour réévaluer la place des femmes artistes dans l’accès aux grandes expositions et manifestations sachant que tous les combats doivent se maintenir coûte que coûte , le curseur ayant la mauvaise habitude de repartir dans le sens inverse des acquis que l’on croyait acquis!

  3. Pingback: Liberté d’expression, poil au menton ! | Atlantes & Cariatides·

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